Dépassement du budget: préjudice et responsabilité

Même si vous êtes un concepteur assuré pour d’éventuelles erreurs dans le cadre de l’exercice de vos activités professionnelles assurées, y compris à la suite d’un dépassement du budget, il est tout de même indiqué de se pencher un moment sur le thème du budget.

En effet, le dépassement du budget constitue, du fait de la mauvaise conjoncture économique et de la crise financière, un thème, d'une part, qui fait surface encore plus souvent qu'auparavant et d'autre part, auquel les concepteurs se trouvent plus fréquemment confrontés. Nous constatons régulièrement que le maître d’ouvrage a une vision bien définie et un rêve au sujet de sa maison, mais que cette vision et ce rêve ne correspondent pas toujours aux moyens financiers dont il dispose à cet effet.

Bien qu’à notre avis, un maître d’ouvrage doive veiller sur le budget qu’il a à sa disposition et doive se rendre compte que toute modification du choix qu'il a fait peut avoir une influence sur son budget, l’architecte de son côté, doit aussi l’informer ponctuellement et à temps au sujet du budget pour lequel la maison de ses rêves peut être réalisée. Il doit également lui faire savoir quelles sont les éventuelles conséquences financières de certains choix et de certaines décisions. Il convient d’étudier la faisabilité du projet.

C'est ce qui ressort de la lecture conjuguée des articles 16 et 20 du règlement sur les obligations professionnelles : ce règlement précise que c’est sur l’architecte que repose l’obligation déontologique de veiller sur le budget de construction et qu’il doit faire en sorte que l’ensemble des coûts des travaux prévus se trouve toujours en équilibre avec les possibilités et les désirs du maître d’ouvrage. Ceci en plus de l’obligation générale d’assistance et d’information qui incombe de toute façon toujours à un architecte conformément à l’article 4 de la loi du 20 février 1939.

D’un autre côté, le maître d’ouvrage a néanmoins aussi ses obligations, en ce sens qu’il a un devoir de collaboration et qu’il doit prendre à temps les décisions nécessaires lorsque certains choix s’imposent ou que certaines modifications s’avèrent indispensables ou sont souhaitables. Il doit fournir des efforts pour permettre à l’architecte de maîtriser le budget.

Même si c’est au cours de l’ensemble du projet qu’il convient de veiller sur le budget, il est important dès le début de se montrer clair dans les accords passés sur la question.

Au moment où la convention d’architecture est conclue, une “estimation” des travaux est discutée– même si ceci n’est pas, selon une certaine jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 04 novembre 2004, TBO 2005,70, note K. Uytterhoeven), strictement indispensable pour la validité de la convention d’architecture et ne constitue donc pas un élément objectif essentiel du contrat. Cette estimation n’est très souvent indiquée qu’à titre d’information afin de pouvoir constituer un critère pour les honoraires demandés en tant que concepteur.

Toutefois, cette “estimation” se fonde fréquemment uniquement sur la base d’un prix unitaire par m² et ne correspond pas toujours au prix de revient réel après adjudication, qui dépend de l’offre et de la demande et subit donc l’influence de la conjoncture économique dans laquelle on se trouve à ce moment-là.

Il est important d’informer le maître d’ouvrage – qui souvent pense à tort qu’il s’agit ici d’un “budget convenu” – au sujet de cette donnée et de signaler clairement que c’est seulement une estimation et qu’il ne s’agit pas d’un budget fixe d’adjudication. Celui-ci ne peut être déterminé concrètement qu’après que les offres de prix des entrepreneurs aient été demandées et ne sera même alors pas encore définitif, à moins qu' un contrat à prix fixe ne soit conclu. Nous vous renvoyons à cet égard à la convention d’architecture standard qui est disponible sur notre site web.

Si cela n'est pas fait et qu'un certain montant est fixé comme budget, il y a un risque qu’il soit considéré comme un budget fixe et maximum, et, par conséquent, qu'une obligation de résultat a été contractée par le concepteur, où la faute peut purement et simplement être prouvée rien que par la non-obtention du résultat. En tant qu'assureur, nous ne pouvons que demander de l’éviter expressément.

Pendant la durée du chantier également, il faut examiner le budget à intervalles réguliers et en discuter avec le maître d’ouvrage. L’architecte devra en outre signaler au maître d’ouvrage les répercussions financières de certaines modifications dans les plans ou des travaux supplémentaires commandés par le maître d’ouvrage. (Tribunal de Gand, 17 novembre 1999, TOGOR 2001, 75).

Indépendamment de ce qui précède, il faut à notre sens constater que la jurisprudence ne donne pas toujours , en cas de dépassement du budget, l’interprétation correcte à l’erreur en rapport causal avec le préjudice.

Les maîtres d’ouvrage aussi éprouvent des problèmes en ce qui concerne ce principe de droit et partent à tort de l’idée que quand le budget réel se révèle plus élevé que le budget qu’ils avaient en tête – que ce propre budget fût ou non réaliste –, tout supplément de prix peut être automatiquement mis à la charge du concepteur.

Rien n’est cependant moins vrai et l’objectif ne peut pas être que l’architecte soit le financeur du projet de son maître d’ouvrage !

Il faut toujours se poser la question de savoir si le concepteur a commis une erreur et si cette erreur se trouve aussi en rapport causal avec un quelconque préjudice. Tout dépassement du budget n’est pas automatiquement à imputer à une erreur du concepteur. Un dépassement du budget jusqu’à 10 à 15% ne peut pas être qualifié d’anormal et n’est par conséquent pas non plus une erreur.

Même un dépassement du budget de plus de 10 à 15% ne signifie pas automatiquement que le dépassement est à imputer à une erreur dans le chef du concepteur.

Si le maître d’ouvrage n’a pas expressément mentionné que le budget ne pouvait pas être dépassé, un dépassement par rapport au prix de revient estimé à l’origine doit être considéré comme admissible. Lors de la fixation du dépassement, il faut tenir compte des commandes supplémentaires et des modifications de choix que fait le maître d’ouvrage (et même un maître d’ouvrage doit à cet égard savoir que le choix, par exemple, d’un sol en pierre naturelle au lieu d’un sol ordinaire aura une influence sur le budget), ainsi que des circonstances imprévisibles et de la donnée que l’architecte a informé le maître d’ouvrage à propos de l’augmentation du prix de revient à la suite de ces travaux supplémentaires.

Il faut donc toujours vérifier si l’architecte a, au regard de raisons objectives, manqué ou non à son devoir d’information et d’avertissement. Si le maître d’ouvrage a été correctement informé du budget de construction, l’architecte ne peut pas se voir reprocher de faute, même si ce budget est dépassé.

De plus, quelle que soit la faute éventuelle, le préjudice à imputer à un dépassement du budget n’est jamais la différence arithmétique entre le budget réel et le budget estimé. Ce principe de droit est souvent transgressé et est alors accordé injustement et fautivement plus de préjudice que le préjudice pouvant être octroyé en rapport causal avec la faute éventuelle.

Nous ne pouvons donc sûrement pas prétendre de façon irréfutable que l’architecte porterait la responsabilité d’un dépassement du budget. Moyennant une information correcte du maître d’ouvrage avant et pendant le déroulement du chantier du budget du projet, il est possible d’éviter pas mal de discussions.

CAS PRATIQUES

À titre d’illustration, nous vous renvoyons aux arrêts et jugement ci-dessous :

  • Arrêt de la Cour d’Appel de Gand (Gand, 10 novembre 2006, TBBR 2009, 172-172) dans lequel une faute a été retenue dans le chef de l’architecte pour un dépassement du budget initialement préétabli, mais où il a été aussi prononcé que le dépassement du budget ne pouvait pas être imputé exclusivement à l’architecte, de même qu’il a été indiqué que le maître d’ouvrage avait manqué à son devoir de collaboration.

La Cour d’Appel de Gand a affirmé que le budget était un élément essentiel de la convention d’architecture, il était clair que les maîtres d’ouvrage étaient dans celle-ci conscients d’un budget donné. Il a été précisé que, sur base de l’article 16 du règlement sur les obligations professionnelles, ceci doit être une des préoccupations principales de l’architecte. Dans le cadre de son obligation générale d’assistance et de conseil, l’architecte devait, selon le jugement de la Cour, avoir vérifié chez ses clients les possibilités financières et la faisabilité du projet. Il devait dresser les plans de telle sorte que ceux-ci soient réalisables dans les limites du budget préétabli.

D’un autre côté, une responsabilité est cependant aussi imputée au maître d’ouvrage, qui a négligé de prendre les décisions indispensables quand certains choix s’imposaient ou que certaines modifications étaient nécessaires ou souhaitables. Le maître d’ouvrage doit en effet aussi fournir des efforts pour permettre à l’architecte de maîtriser le budget, et la communication par mail a laissé apparaître que le maître d’ouvrage n’avait pas apporté la moindre collaboration après que l’architecte lui avait fait savoir qu’il était temps de passer à des économies.

  • Arrêt non publié de la Cour d’Appel d’Anvers dd. 02/02/2005 qui a réformé un jugement en première instance – où l’architecte avait été considéré comme responsable du dépassement du budget en raison d’un manquement à son obligation d’assistance et d’information – et a jugé que la modification des voûtes et des pots pour du béton armé qui est intervenue (et qui a fait que le budget a été dépassé) devait être signalée par l’entrepreneur au maître d’ouvrage et à l’architecte via une offre-demande/imputation préalable. Que cependant – même si le maître d’ouvrage reprochait le dépassement du budget à l’architecte – l’architecte n’avait pas commis d’erreur, mais que celui-ci, par contre, fait à juste titre remarquer que si l’entrepreneur avait l’intention de facturer un supplément de prix pour la modification du projet, c’était l’entrepreneur qui, en dérogation au contrat d’entreprise d’origine, aurait dû soumettre, préalablement à l’exécution modifiée, son supplément de prix au maître d’ouvrage et à l’architecte. L’architecte ne peut dès lors pas être poursuivi pour ce “dépassement du budget”.

  • Jugement non publié dd. 16.01.2013 du Tribunal de Première Instance d’ANVERS qui prononce que l’architecte ne peut pas être tenu pour responsable du dépassement du budget puisque le maître d’ouvrage n’a jamais mis l’architecte en demeure pour dépassement du budget et que l’architecte fait à juste titre remarquer que le prix qui est mentionné dans la convention d’architecture est seulement un prix indicatif et ne peut pas être considéré comme une obligation de résultat. Il ressort des différents rapports de chantier que les travaux ont fait l’objet d’un suivi fort régulier, de sorte qu’il devait être clair pour le maître d’ouvrage aussi que le prix indicatif serait largement dépassé ; le maître d’ouvrage n’a pourtant jamais fait de remarque à l’architecte à ce sujet.

  • Arrêt de la Cour d’Appel dd. 26.06.2006 (non publié) dans lequel il a été jugé que le maître d’ouvrage a été mis et tenu au courant à plusieurs reprises des implications financières qu’auraient les modifications apportées au projet. Il n'y a nulle part de trace que le maître d’ouvrage n’a jamais au cours des discussions entre les parties mis un frein à l’architecte ou fait explicitement mention d’un budget limité. Bien au contraire, de nouvelles modifications ont été apportées, suite auxquelles de nouvelles estimations des coûts furent réalisées.

CONCLUSION

En conclusion, nous pouvons par conséquent affirmer qu’il est d’une importance réelle que l’architecte assiste le maître d’ouvrage pour les questions financières et budgétaires. Il convient de signaler à cet égard tout l’intérêt que l’architecte s’informe sur les possibilités financières du maître d’ouvrage et essaie de réaliser un projet qui reste à l’intérieur des capacités budgétaires de sa clientèle.

Il appartient dès lors à l’architecte d’établir dès le début une estimation correcte des travaux demandés et d’attirer l’attention sur leurs implications financières.

Une étude préliminaire approfondie revêt par conséquent la plus grande importance. Il convient de bien faire comprendre – et ceci dès le tout début – au maître d’ouvrage ce que représenteront l’ensemble des frais de ‘son projet de rêve’. Se jeter à corps perdu dans une mission sans des instructions claires et une estimation de prix réaliste, sans non plus connaître avec une certitude suffisante les possibilités financières du maître d’ouvrage, ce serait risquer de s’en mordre plus tard les doigts.

Il est de la plus grande importance qu’il y ait une communication bien claire au sujet du budget, et ceci dans chacune des phases du projet de construction. La communication écrite est à cet égard tout à fait essentielle pour l’administration ultérieure de la preuve.

 

Nathalie Heymans
Chef du département sinistres

Nathalie Moens
Juriste service de sinistres

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