La responsabilité du géomètre: toute erreur n'entraîne pas forcément des dommages

Le géomètre joue un rôle important dans le secteur immobilier. L'une de ses missions consiste à mesurer des parcelles, la mission pour laquelle on relève le plus grand nombre de sinistres.

La responsabilité du géomètre peut être engagée lors de tels sinistres. Mais les éléments importants dans ce cadre sont la faute, le dommage et le lien de causalité. En outre, le géomètre n'est pas toujours le seul responsable d'une erreur de mesurage.

Ci-dessous, vous trouvez les principes généraux en matière de responsabilité du géomètre, illustré en s'appuyant sur un cas concret.

FAUTE, DOMMAGE ET LIEN DE CAUSALITÉ

Le géomètre joue un rôle important dans le monde immobilier. Ses tâches incluent notamment l'identification, la délimitation, le mesurage, l'estimation et l'enregistrement de biens immobiliers.

Parmi ces tâches, le mesurage de parcelles est l'une des plus importantes ; et il se fait que c'est justement dans ce domaine que surviennent la plupart des dommages. Tandis que, par exemple, en matière d'estimation, le géomètre n'est tenu qu'à une obligation de moyens, dans le cas du mesurage, il a une obligation de résultat.

S'il commet une faute dans l'exécution de cette tâche, il peut être tenu responsable, au niveau contractuel qu’extracontractuel, à l'égard du cocontractant ou du tiers. Quiconque veut invoquer la responsabilité du géomètre devra prouver que toutes les conditions suivantes sont remplies : faute (ou résultat non-atteint), dommage et lien de causalité. Il ne suffit donc pas de prouver qu'une faute a été commise ; il faut pouvoir démontrer que cette faute est la cause du dommage. En d'autres termes, qu'il existe un lien de causalité entre les deux.

En particulier dans le cas d'erreur de mesurage (par exemple si la superficie mesurée est plus grande que la superficie réelle de la parcelle), il est déjà arrivé que l'on suppose à tort que, du fait de la faute commise, le géomètre doive également répondre du « dommage ». Pour l'acheteur, le dommage correspond au montant versé indûment pour la superficie dont il s'avère – après nouveau mesurage – qu'il ne dispose pas. Il faut toujours pouvoir démontrer qu'en cas d'absence de faute contractuelle, le dommage n'aurait pas existé, ou pas de la même manière ; cette évaluation n'est pas toujours effectuée correctement par les parties et/ou le tribunal.

En outre, c'est une erreur de partir du principe que le géomètre est toujours l'unique responsable d'une erreur de mesurage. En fonction de la situation, d'autres parties – agissant conformément à l'obligation générale de prudence – auraient pu détecter ou éviter l'erreur de mesurage, voire fournir au géomètre des informations erronées.

Le cas suivant est une belle illustration de ces principes.

CAS: ERREUR DE MESURAGE

Dans un lotissement récent, mesuré par le géomètre, plusieurs personnes ont chacune acheté un terrain à bâtir sur lequel elles ont fait construire leur propre maison. Il est ensuite apparu qu'une bande des terrains vendus, le long de la rue, avait déjà été expropriée auparavant. En d'autres termes, les vendeurs n'auraient pas pu transmettre la propriété de cette bande de terrain. La propriété des acheteurs s'est donc révélée plus petite que ce qui était initialement prévu d'après les mesures du géomètre.

Les acheteurs introduisent un recours en nullité pour la vente de cette bande de terrain et réclament le remboursement du montant correspondant, ainsi qu'un dédommagement pour frais d'acte inutiles et pour l'entretien et l'aménagement de la bande de terrain longeant la rue. Ils introduisent un recours en responsabilité contractuelle à l'égard du vendeur, et en responsabilité extracontractuelle à l'égard du géomètre et du notaire.

Responsabilité partagée

Après expertise et débats, le tribunal conclut à une responsabilité partagée entre le vendeur, le géomètre et le notaire qui a établi l'acte de vente.

  • Le tribunal conclut que le géomètre n'a pas effectué toutes les recherches nécessaires et qu'il a commis une faute en se basant exclusivement sur l'alignement. Selon le tribunal, compte tenu de la situation de l'alignement existant, il aurait dû au minimum envisager la possibilité que les autorités aient déjà exproprié ou acheté cette bande de terrain au préalable pour réaliser l'alignement. Il aurait dû effectuer des vérifications plus approfondies et ne pas partir du principe que les bandes qu'il a mesurées devaient encore être expropriées.
  • Le notaire est également responsable. Bien qu'il ne doive pas refaire le travail du géomètre, il doit cependant contrôler le statut de propriété des bandes de terrain. Contrairement au géomètre, il savait – ou aurait dû savoir – que les bandes concernées avaient déjà été expropriées et il aurait dû en informer le géomètre. En d'autres termes, le notaire n'a pas agi comme l'aurait fait un notaire normalement prudent et diligent dans les mêmes circonstances.
  • Bien qu'ils n'aient commis aucune faute, les vendeurs ont aussi une responsabilité à l'égard des acheteurs. Étant donné qu'il y a eu vente de la chose d'autrui, les acheteurs peuvent légitimement exiger la nullité du contrat de vente à concurrence de la bande de terrain longeant la rue et réclamer des dommages-intérêts aux vendeurs. Les vendeurs sont également objectivement responsables des conséquences de la nullité de la vente de la chose d'autrui.

L'action en nullité

Étant donné que la vente des bandes de terrain a été déclarée nulle, ce contrat est réputé n'ayant jamais été conclu. Cela oblige donc aussi les parties à restituer intégralement les prestations qu'elles ont chacune effectué pour le cocontractant. En d'autres termes, les acheteurs ont droit au remboursement du prix d'achat + des frais d'acte pour ces parties de terrain. Le dédommagement pour l'entretien et l'aménagement de ces zones de terrain n'est pas accordé, vu qu'aucun travail d'aménagement n'a été réalisé et qu'aucun dommage ne peut donc être démontré.

Bien que les trois parties responsables à l'égard des acheteurs soient tenues in solidum au remboursement de cette somme, dans la relation réciproque entre les parties responsables, seul le vendeur est tenu au remboursement du montant indûment perçu. Le tribunal conclut qu'il n'existe aucun lien de causalité entre, d'une part, la faute du géomètre et du notaire et, d'autre part, le prix d'achat à rembourser. Seuls les frais d'acte pour ces zones de terrain sont à la charge du géomètre et du notaire qui ont commis une faute vis-à-vis du vendeur ; ils sont donc seuls tenus au paiement de ces frais.

CONCLUSION

Une erreur de mesurage ne conduit pas nécessairement à une responsabilité imputable à 100% au géomètre. Il faut toujours examiner les circonstances spécifiques et vérifier si la faute commise a effectivement causé un dommage. Ensuite, il convient d'établir si d'autres parties auraient éventuellement pu détecter, éviter ou contribuer à la faute ; dans l'affirmative, il s'agit d'une responsabilité partagée et non exclusive. Ce n'est pas parce que le géomètre effectue le mesurage que les autres parties ne doivent pas se comporter en bon père de famille, voire traiter cette information avec prudence et repérer certaines erreurs visuellement évidentes. Enfin, il est important que le cocontractant fournisse l'information nécessaire et correcte pour permettre au géomètre d'effectuer correctement sa tâche.

Nathalie Heymans
Juriste - responsable département sinistres

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